Les réseaux sociaux sont aujourd’hui incontournables. En France, 76% de la population française les utilisent de manière active et y passent en moyenne 1h36 par jour. On parle souvent de la nocivité du digital et notamment celles des réseaux sociaux pour les jeunes mais on évoque rarement les conséquences néfastes qu’ils causent sur l’estime de soi des enfants comme des adultes. Alors il est vrai que les réseaux sociaux permettent de faire naître ou concrétiser de beaux projets, de donner l’opportunité à des personnes qui ont les mêmes besoins de partager leurs expériences, de communiquer avec/ou de retrouver des personnes chères … mais l’usage actuel des réseaux sociaux est aussi ce qu’il y a de pire pour l’estime de soi et je vous explique pourquoi…
Les statistiques sont vertigineuses : 70% des 12-17 ans (dont 52% passent plus de 15 heures par semaine) et 84% des 18-24 ans (dont 41% passent plus de 22 heures par semaine) utilisent au moins un réseau social. Plus déroutant, 41% des 8-11 ans et 8 % des 6-7 ans sont déjà inscrits sur un ou plusieurs réseaux sociaux, parmi lesquels TikTok, Snapchat, Facebook, Instagram ou Twitter [1].
Il faut dire que les réseaux sociaux sont extrêmement bien pensés, toutes les fonctionnalités, imaginées par des experts en neurosciences, ont pour effet la libération dans le cerveau d’une molécule appelée dopamine (celle-là même impliquée quand nous avons des interactions sociales, que nous apprécions un bon repas, pratiquons une activité physique, ou parvenons à la réussite) qui active les circuits de la récompense et du plaisir et qui les rend addictifs. Une étude a mis en exergue que Facebook, Snapchat et Instagram exploitaient les mêmes circuits neuronaux utilisés par les machines à sous et la cocaïne [2]. Robert Lustig (endocrinologue pédiatrique à Université de Californie) explique d’ailleurs dans son ouvrage The Hacking of the American Mind, que nous sommes sous l’emprise de la dopamine, générée par l’abondance du plaisir immédiat que procurent, entre autres, les réseaux sociaux. En plus du comportement addictif, ils sont les catalyseurs d’une pseudo-estime de soi qui auto-alimente, par ailleurs, l’addiction.
Les notifications, les likes, les filtres, les causes humanitaires qui peuvent affichées sous forme de badge sur notre photo de profil (quoi de plus valorisant que de voir son visage accolé à une cause dont tout le monde parle…), en passant par la story repartageant un partage de sa propre publication visant à montrer que notre contenu est plébiscité, l’affichage du nombre de ses followers/connections (qualitatifs ou non peu importe), les différentes statistiques montrant l’engagement de la communauté…
Mais qu’on se le dise, il s’agit bien là d’une pseudo estime de soi : l’usage actuel des réseaux sociaux (y compris professionnels) est par essence anti-estime de soi, car ses caractéristiques vont à l’encontre des dimensions qui favorisent l’estime de soi et il suffit de passer 5 minutes à consulter les commentaires et les contenus pour s’en rendre compte…
1. Les réseaux sociaux ne s’inscrivent pas dans la réalité et le fait de vivre le moment présent
Les réseaux sociaux représentent un monde parallèle (et ce bien avant le fameux métaverse) accessible 24H/24 virtuellement et actualisé à chaque seconde par des millions d’utilisateurs, ce qui les rend addictifs. Les conséquences sont évidentes : nous ne sommes plus à même de vivre et d’apprécier l’instant présent, de profiter du moment comme par exemple lors de retrouvailles en famille ou entre amis: il suffit d’observer tous ces groupes qui se retrouvent pour partager un bon moment ensemble et qui passent une bonne partie de leur soirée à se filmer ou à réaliser la plus belle photo ou vidéo qui permettra de donner la meilleure image d’eux -mêmes sur les réseaux sociaux. Il en va de même de ces moments à attendre un bus ou dans une salle d’attente durant lesquels nous passons le temps sur les réseaux sociaux alors qu’il pourrait être l’occasion de laisser libre court à notre pensées ou mieux: interagir avec le monde réel! De ce fait nous n’activons plus ce que l’on appelle en Neurosciences, le Mode par défaut (MPD) de notre cerveau, un processus indispensable à notre équilibre psychique, jouant un rôle essentiel dans le bon fonctionnement de la mémoire, des émotions et de l’introspection mais également propice à la créativité, la productivité et pour rêver à son idéal, des fondamentaux pour construire une haute estime de soi.
2. Les réseaux sociaux mettent relativement à mal le principe d’intégrité, pourtant indispensable à une bonne estime de soi.
Citons la facilité avec laquelle les individus, cachés derrière leur ordinateur ou mobile, s’adressent avec agressivité voire violence, et ce en toute impunité; bien que de tels comportements soient manifestement liés à une mauvaise estime de soi, il est évident que cela ne fait que tirer vers le bas l’estime de soi; ou encore le partage de contenus compromettants et portant atteinte à la dignité de personnes, dans le seul but de faire un chantage financier ou de se créer une notoriété en gagnant des followers de manière méprisable.
D’autre part, les réseaux sociaux exposant le meilleur de la vie de chacun donne une image très biaisée de la réalité et engendre très fréquemment un sentiment de jalousie ou d’envie conscient ou inconscient, extrêmement néfaste pour l’estime de soi.
Egalement, l’on trouve sur les réseaux sociaux, des discours qui ne sont pas consistants avec les actes. L’on voit par exemple des personnes qui se disent dévastées par tel ou tel drame mais qui postent dans la même story des vidéos ou photos d’eux-mêmes en train de faire la fête…
Enfin, l’on peut voir fleurir, depuis peu, sur les réseaux sociaux des fake pages adossées à des cagnottes solidaires censées financer les frais médicaux d’enfants atteints de maladies graves, mais dont l’unique but est de récolter de l’argent malhonnêtement.
3. Le principe de responsabilisation est difficilement applicable
Les utilisateurs des réseaux sociaux ne prennent pas la peine de vérifier la véracité de ce qui leur est soumis, que ce soit les cagnottes, pages, partages d’informations, d’articles… tout est pris pour argent comptant et relayer sans remise en question.
Avec les réseaux sociaux est apparu un concept: partager et liker donne le sentiment d’agir, de participer à un projet de société ou une cause, cautionnant la passivité. Il s’agit là du pire pour maintenir une bonne estime de soi.
Les réseaux sociaux offrent aussi la possibilité à des individus, sans aucun doute dotés d’une piètre estime d’eux-mêmes, de se créer de faux comptes pour ne pas avoir à assumer leurs propos, en plus d’un problème d’intégrité, cela pose un problème de responsabilisation, l’on n’a plus besoin d’assumer ses propos, des propos qui peuvent pourtant avoir une portée catastrophique…
D’autre part, les réseaux sociaux ont fait émergé toute une mouvance: celle de monétiser sa popularité, une popularité, par ailleurs, pas forcément toujours bien acquise, qui donne l’impression qu’il est possible de gagner très bien sa vie, sans trop se donner de mal. On assiste à une course folle au gain de nouveaux followers, peu importe la manière, qui permettra d’atteindre ce niveau ultime de popularité qui intéressera les annonceurs, ce graal qui permettra de se détourner d’une vie faites d’apprentissages et d’efforts. Ce phénomène favorise la passivité en donnant l’impression, qu’il y aura toujours une voie plus facile que celle de l’effort, et ce, particulièrement chez les personnes qui ont une mauvaise estime d’eux-mêmes.
4. On en oublie de vivre avec une intention, un but
Sur les réseaux sociaux, le rêve est de mise, l’on s’ébahit devant les réussites, parfois éphémères, ou les signes extérieurs de richesse des personnes que l’on suit, nous éloignant de notre but ultime: se fixer des objectifs – pour donner du sens à notre vie – et mettre tout en œuvre pour les atteindre. Mise à part cela, le côté addictif des réseaux invite à la procrastination et leur utilisation répétée nuit à l’action et au contrôle de notre vie.
5. Les réseaux sociaux compliquent le processus d’acceptation et de valorisation de soi
L’exposition permanente à la vie romancée des autres ne montrant que les meilleurs aspects, conduit à des comparaisons irréalistes, qui peuvent engendrer un sentiment d’infériorité, d’inadéquation, de jalousie impliquant une dévalorisation de soi-même, et générant de ce fait une mauvaise estime de soi. Une étude a démontré que les personnes qui ont une mauvaise estime d’eux mêmes ont tendance à se dévoiler davantage sur les réseaux sociaux pour se faire accepter, ouvrant alors la porte à des attaques, critiques, jugements de valeur, détruisant encore davantage leur estime d’elles-mêmes.
6. Les réseaux sociaux posent un problème d’assertivité
Parce que les réseaux sociaux sont la manifestation la plus large de la pensée unique de nos jours il est difficile de penser différemment et d’exprimer son intime opinion si l’on veut être accepté/reconnu par « la » communauté. Sans même avoir pris le temps de réfléchir à ses propres convictions, ou bien est-ce que nos actions sont alignées avec ce que nous clamons, ni même à comment l’on pourrait jouer un rôle dans le fait de changer les choses, et par un processus que l’on appelle en Neurosciences, le biais de conformisme, on adhère ou rejette les mêmes causes, parce que cela nous donne un sentiment de valorisation; mais finalement à force de penser comme tout le monde nous n’avons plus la capacité de penser pour et par nous-même, nuisant à notre singularité, à la perception de notre propre valeur.
D’autre part, les échanges virtuels que nous entretenons sur les réseaux sociaux, que l’on retrouve aussi sur les apps de messagerie instantanée ne favorisent pas l’assertivité, les interactions sociales sont biaisées, et très souvent les échanges d’opinions sont très houleux, car ce sont finalement les personnes ayant l’estime d’elles-mêmes la plus basse, qui établissent un rapport de force ne rendant pas possible un échange d’opinions sain et raisonné.
Au delà de tous ces aspects, il est prouvé [3] que le temps passé sur les réseaux est directement corrélé au (peu de) temps passé en face à face avec ses proches, un comportement qui favorise la solitude. En outre, il a été démontré que l’utilisation prolongée et excessive des réseaux sociaux est associée à l’apparition de troubles psychiatriques tels que l’anxiété et la dépression. Les chercheurs ont indiqué que ce type d’anxiété (appelée nomophobie – nomo = no mobile ) découlait de la gestion d’un vaste réseau d’amis sur les réseaux sociaux, de la jalousie de leur vie et de la « peur de manquer » – qui correspond au syndrome appelé le « FOMO » (Fear of Missing Out) – des activités dans les interactions en ligne. Une étude conduite [4] par ailleurs, a démontré que les personnes hautement névrosées ont une tendance plus forte à poster et partager des contenus sur les réseaux sociaux, des personnes influençant -peut être – des milliers de personnes…
Les réseaux sociaux sont aussi virtuels qu’ils créent un sentiment d’estime de soi virtuelle ; à cet égard, de plus en plus de personnes souffrent du symptôme de l’imposteur, car malgré leurs millions de followers, une fois face à eux-mêmes, le jugement est dur car il est basé sur la réalité des faits et non ce que l’on a bien voulu dévoiler au monde. Notre âge et expérience de la vie ne nous met pas à l’abri des dégâts incommensurables potentiels des réseaux sociaux sur notre estime de soi et notre bonheur au quotidien; nous en faisons tous les frais sans même nous en rendre compte. Mais le point important sur lequel je veux particulièrement attirer l’attention dans cet article est le fait que les personnes qui sont par nature, beaucoup touchées par une estime de soi fragile, sont précisément les plus consommatrices de réseaux sociaux et ont donc un risque décuplé de perdre le contrôle de leur vie et de sombrer. En induisant une hausse de la dopamine dans le cerveau, les réseaux sociaux entraînent directement ou indirectement une diminution de la sérotonine, à savoir: une diminution du bien-être.
Voici un exemple de quelques actions à mettre en place pour limiter les effets néfastes des réseaux sociaux, quelque soit notre âge:
– Montrez l’exemple, en se déconnectant et en appréciant les bienfaits des moments partagés en famille! Il est difficile de demander à ses enfants qu’ils se déconnectent pour leur bien, si nous-mêmes, manifestons au quotidien, le comportement inverse.
– (encouragez les plus jeunes à) Prendre le temps de réfléchir aux effets des réseaux sociaux sur ses comportements, ses pensées, ses émotions, son mode de vie…
– (encouragez les plus jeunes à) Couper les notifications (réseaux sociaux et app) sur le smartphone. Couper également les notifications lorsque l’on répond à un post sur un réseau social, pour éviter de multiplier les occasions d’y retourner. Lorsque l’on post un message, couper les notifications, une fois la réponse obtenue pour éviter d’avoir à y retourner plusieurs jours après pour prendre connaissance des réponses retardées.
– (encouragez les plus jeunes à)Unfollow/unlike/unfriend les personnes, pages ou groupes qui génèrent en vous des sentiments et comportements négatifs, peu importe la nature des contenus.
– (encouragez les plus jeunes à) Prendre des mesures concrètes en définissant un plan d’action raisonnable afin de réduire votre temps passé sur les réseaux sociaux. Intégrer des moments prédéfinis (jours/heures) durant lesquels vous vous déconnectez totalement, des moments d’oisiveté purs indispensables à votre cerveau; prenez un livre dans votre sac, un carnet, un stylo…
– Multiplier les occasions de passer du temps dans la vraie vie avec vos proches… sans téléphone!
Il est plus qu’évident qu’aujourd’hui les réseaux sociaux, aussi ludiques et générateurs d’opportunités soient-ils, ont ouvert une boite de pandore en évoluant si rapidement avant même d’avoir identifié un moyen de contrôler leurs effets néfastes et irréversibles sur notre société, notamment sur les plus jeunes. A ce sujet, et en guise de conclusion, Chamath Palihapitiya, ancien vice-président de la croissance des utilisateurs chez Facebook a déclaré: « les boucles de rétroaction à court terme et axées sur la dopamine que nous avons créées détruisent le fonctionnement de la société ». Maîtriser ces effets fera sans doute parti des enjeux de la prochaine décennie.
[1] Etude de YouGov réalisée pour InfoBip – 2021
[2] Trevor Haynes – Harvard Médical School, département de neurobiologie – 2018
[3] Sang Won Lee – « Activities on Facebook reveal the depressive state of users. Journal of Medical Internet Research » – 2013
[4] Gwendolyn Seidman (Ph.D, psychologue social) – « Self‐presentation and belonging on Facebook: how personality influences social media use and motivations. »